Comment avez-vous développé la passion de la littérature et décidé de vous lancer dans l’écriture d’une œuvre de fiction ?
La lecture tomba dans mon adolescence comme le fruit de la passion de l’arbre. Je fus l’heureuse victime d’une boulimie de livres goulûment ingurgités, de toutes cuissons : saignant comme les ‘SAS’ de Gérard de Villiers qu’adoraient mon père ou des John Grisham , A point comme les œuvres de Cheikh Anta Diop, Freud, Romain Rolland, Maryse Condé, Mongo Beti, Césaire, Achille Mbembé, Amélie Nothomb, Maya Angelou, Sartre, Harendt, etc… Puis vint l’anorexie avec les années universitaires et professionnelles, un jeûne subi jusqu’à la découverte de Miano, Chimandada Ngozi Adichie, etc. dont la force des récits a su extraire le minerai de l’écriture qui végétait depuis l’adolescence dans les cavernes intimes. Les thèmes abordés par Miano dans les « aubes écarlates » ou « la saison de l’ombre », par Adichie dans « l’autre moitié du soleil », la relecture de Cheikh Anta Diop ont achevé de me convaincre d’écrire cette fiction historique.
Vous abordez dans le roman ‘Indépendants’ la thématique des indépendances africaine des années soixante. Qu’est-ce qui vous conduit à vous intéresser à ce sujet ?
Le premier intérêt vint de mes parents qui ont connu cette période et m’ont raconté certains évènements repris dans le livre. Les jambes de ma mère portaient des taches indélébiles en témoignage de l’incendie de la maison paternelle à son adolescence. Ensuite, les non-dits. Les versions différentes suivant le côté de l’océan où on se trouve. Il y a peu de fiction sur la période des indépendances. LA dernière décennie a vu un rattrapage s’opérer avec Hemley Boum, Nganang, Blick et d’autres qui ont écrit notamment en ce qui concerne le Cameroun. Comme si les langues se délient après plus de cinquante ans. Il faut se souvenir que la jeunesse des années soixante a engendré celle d’aujourd’hui. Et comprendre ses rêves et ses désillusions permet de mieux comprendre le temps présent africain. Par ailleurs, il est important pour les africains de raconter l’Afrique, de raconter toutes les périodes de l’Afrique, de se saisir de toutes ses thématiques, de donner leur point de vue pour enrichir la connaissance globale, car c’est l’histoire de l’Afrique et c’est l’histoire du monde.
Quelle importance accordez-vous au travail de recherche dans une œuvre de fiction ?
Le travail de recherche est important pour la crédibilité et la vraisemblabilité des faits et des personnages. Cadrer le récit aux faits réels historiques. Recouper les informations sur des dates, des évènements, et y glisser le récit tel un poisson dans l’eau. Il a fallu lire et acheter des dizaines de bouquins. J’ai eu la chance de visiter certains de ces pays même si plusieurs souvenirs ont disparu dans l’urbanisation actuelle des villes. Par exemple, je rêvais de retrouver le Sophiatowm de Johannesburg, disparu depuis. Il est aussi nécessaire de confronter les points de vue, car cette période ne bénéficie pas d’une unanimité de point de vue chez les différents auteurs. Et au fur et à mesure des lectures, les similitudes s’imposaient de l’Afrique du Sud au Ghana, du Cameroun au Congo Belge, du Sénégal à l’Angola. C’étaient les mêmes aspirations à une vie meilleure, à la liberté, à un mieux-être et mieux vivre, à devenir maître de soi-même ; qui levèrent l’enthousiasme de la jeunesse africaine.
Par ailleurs, pouvoir évoquer les Mandela, Lumumba, Um Nyobé, Nkrumah, Cheikh Anta Diop, etc. dans un même récit, montrer comment leurs victoires ou échecs ont catapulté le destin de gens ordinaires dans l’Afrique contemporaine permet de rappeler que leur combat était le même, celui de l’émancipation d’une population dans une zone géographique donnée (l’Afrique).
La période dans laquelle se déroule votre roman fait partie d’un intervalle que l’on considère comme trouble. Est-ce que c’est important de clarifier aujourd’hui certains aspects de cette période de notre histoire ?
Oui, il faut apporter de la lumière sur cette période, pour les Africains d’abord. Faire la paix avec nous-mêmes, notre passé, notre histoire. Nous réconcilier. Sans complaisance ni victimisation. Attendre la reconnaissance des crimes de la part des anciens colonisateurs est anecdotique. L’Asie n’est pas restée soixante ans à attendre les excuses de X ou Y. Ça détourne de nos propres responsabilités et devoirs. Où sont nos propres monuments ? les rues au nom de nos héros nationaux ? les journées commémoratives ? les promotions de nos prestigieuses écoles qui portent le nom de ces héros ? Nos musées de l’esclavage, de l’histoire coloniale ou des Indépendances ? Pourquoi des livres comme ‘Nations nègres et culture » ou « l’Afrique noire précoloniale » de Cheikh Anta Diop ne sont pas enseignés dans les collèges du Sénégal et des autres pays africains ? Des ouvrages comme « écrits sous le maquis » ou « le mouvement nationaliste dans le sud du Cameroun » d’Achille Mbembé sont parfois ignorés au Cameroun. La collection l’Afrique noire contemporaine dirigée par Ibrahima Baba Kaké est passée aux oubliettes… Chaque peuple doit faire son travail d’introspection. L’assumer. Le partager. Et lorsqu’il le fait bien, il se fait respecter. Nous agissons comme si nous attendons l’aval de l’ancien colonisateur qui a son agenda et son propre travail de vérité à faire. Les deux démarches peuvent cohabiter, se rejoindre ou pas. Il y a un tel silence complice de la part de ceux qui ont dominé et de ceux qui furent dominés qu’il en devient coupable. Et ce silence fait le lit des extrémistes, des séparatistes, de ceux qui veulent écrire l’histoire à leur seule sauce, des théories de tous genres. Tout cet imbroglio ne permet pas d’avoir un débat serein et structuré sur ce sujet. Cette situation ne profite pas aux Africains. Parler de ce qui n’a pas marché pour soi dans le passé permet d’anticiper le futur. Bien sûr, l’accès aux archives retenues dans les anciennes puissances coloniales est nécessaire, mais où sont les archives locales ou les témoignages locaux ? Il faut se libérer de ce fardeau mémoriel qui n’en est un que par l’omerta qui semble l’entourer. C’est aux Africains de le faire, de donner le ton.
À travers votre roman, vous mettez en avant des personnages que l’on pourrait qualifier d’anonymes en rapport à l’importance de certains personnages historiques des indépendances africaines. Quelle aura été l’impact de ces ‘anonymes’ dans les mouvements ayant conduit aux indépendances ?
Ces anonymes représentent l’universalité. Ce sont des êtres qui aspiraient à mieux dans leur vie. Qui se sont parfois déplacés vers des pays voisins pour trouver le bonheur. Qui eurent des rêves dont certains furent portés par les héros de l’indépendance. Leurs rêves n’étaient pas moins légitimes que ceux des jeunes Français pendant la deuxième guerre mondiale, que ceux des Américains pendant la crise de mil neuf cent vingt-neuf ou à ceux des Japonais au lendemain de Hiroshima. On oublie trop souvent combien cette période trouble a impacté négativement la trajectoire de plusieurs individus. Certains furent chassés de leur village ou de leur pays et durent vivre l’exil. Le maquis au Cameroun, Mai 68 au Sénégal, Sharpeville en Afrique du Sud ou la crise post indépendance au Congo ont produit les mêmes conséquences, le plus souvent désastreuses pour la jeunesse. Cette dernière a soutenu avec force et conviction les mouvements des indépendances dans l’espoir de créer un monde différent dans lequel elle aurait son mot à dire. Comprendre ce qui s’est passé permet de ne pas reproduire les mêmes erreurs.