Vous avez déjà écrit une dizaine d’ouvrages dans le domaine spirituel et l’approfondissement de la foi, pourquoi avez-vous ressenti le besoin de vous attaquer cette fois à la poésie ?
D’abord merci énormément pour l’intérêt que vous portez à cette modeste publication.
La réponse à votre question est dans le poème sur le Prêtre. Je suis un pont, un lien. Tout ce qui est humain doit être porté à Dieu, et tout l’univers divin doit trouver place dans le monde humain.
Concrètement, j’ai décidé de publier ce recueil de poésie afin de prendre place, comme prêtre, dans le monde de lumière qu’est la Littérature. Les Écrivains, à mon avis, sont des guides véritables, que devraient écouter ceux qui dirigent. Conduire sans les phares est un danger pour tous, de même diriger sans écouter les guides. J’entends ainsi faire entendre ma faible voix dans le chœur de celles et ceux qui éclairent par les paroles et les mots.
Le titre de votre recueil de poèmes ‘YÀÀNI’ est en langue Basa’a. Comment mettez-vous en perspective ce titre avec l’ensemble des poèmes du recueil ? S’agirait-il là d’un syncrétisme culturel ou même d’une inculturation littéraire ? (rires)
De prime abord, il faut dire que je me sers du français comme un véhicule et je compose en écoutant au fond de mon cœur le génie de la langue Basa’a. Comment on dirait ceci ? Comment exprimerait-on telle idée en Basa’a ? Donc j’essaie de laisser résonner la culture Basa’a dans ma pensée.
C’est ainsi que justement le terme Yààni me donne de découvrir tout une philosophie, une vision du monde. Le même terme Yààni désigne hier et demain ! Au-delà d’une apparente pauvreté de vocabulaire, je saisis une vision du monde où le Présent est le creuset dans lequel le Passé (Hier) ne meurt jamais, car il doit donner naissance au Futur (demain).
Je n’oserais pas parler de syncrétisme littéraire, mais plutôt d’une mise en valeur de nos langues nationales, qui nous permettent d’exister, de nous affirmer et de nous rencontrer.
D’une manière plus générale quelle est l’importance du choix du langage et des maux dans votre travail de poète ?
C’est une question difficile pour moi, car je distingue langue et langage. Dans le langage, je mettrais la forme littéraire, qui me permettrait de mieux m’exprimer. Mais d’abord, je refuse de faire de la poésie classique avec la versification selon le nombre de pieds ou de syllabes, parce que je n’en suis pas capable et surtout parce que je conteste l’idée selon laquelle la Poésie soit une invention Gréco-occidentale. Chaque maman qui tient son bébé dans ses bras devient poétesse, comme le mâle qui s’attaque à la forêt vierge de ma campagne au rythme d’une musique intérieure. J’entends monter souvent en moi la voix de ma grand-mère encourageant ses petits-enfants, filles et garçons, en train de quémander la vie à la terre.
Vous comprenez que je ne choisis pas les mots : comme dit dans le poème d’ouverture, je contemple, je me laisse habiter, posséder et pour retrouver ma liberté, je tiens le clavier de mon téléphone et j’écris d’un jet ce que je ressens, quitte à corriger après, une fois sortie de la transe.
Dans la « Blanche colère de Noir » de vos écrits, vous semblez insister sur la nécessité de fédérer nos énergies et de diriger notre regard vers la lumière. Par ailleurs, vous vous appuyez sur nos héros et nos nombreuses références culturelles. Comment ces points d’appui peuvent servir de lanternes pour arriver aux objectifs désirés ?
Le Futur est préparé, cuit dans la marmite du Présent où se trouve déjà le Passé. Nous ne sommes pas les premiers habitants de ce Triangle, nous ne sommes pas les premiers êtres à semer nos gémissements sur les routes de nos errances ou les champs de nos souffrances. Les combats menés aujourd’hui pour l’existence, la valeur de la vie, la liberté respirée à pleins poumons, ces combats ont été menés par nos Héros qu’on tient à maintenir sous le boisseau de l’indifférence.
Vous savez, on ne se valorise pas en dévalorisant l’autre. Tu ne peux dévaloriser l’autre que parce que tu t’es déjà dévalorisé toi-même.
Nous ne faisons que poursuivre timidement et humblement ces Phares que sont Um Nyobè, Ouandié, Osende Afana, Mveng, Philombe et j’en oublie. Mais nous ne pouvons pas nous relier aux Héros du Passé si, au Présent, nous ne mettons pas ensemble nos petits scintillements individuels pour en faire une Lumière éblouissante qui traverse les écailles de tous les aveugles obstinés. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons vivre, nous battre et vaincre. Aucun être humain n’est une île !
Césaire dit dans Cahier d’un retour au pays natal : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. » En tant que poète de notre époque et dans notre géographie, est-ce que vous vous inscrivez dans une démarche similaire ?
Absolument ! La Parole que je porte est le tonnerre qui brise les rochers séculaires des consciences anesthésiées.
Voyez-vous, le travail le plus compliqué dans la croissance d’un peuple, c’est la transformation de la mentalité. Tout le monde se préoccupe du manque d’infrastructures sanitaires, de la bonne tenue des voiries urbaines, etc. Toutes choses utiles, évidemment. Très peu, cependant, s’intéressent à la construction de l’esprit humain. Sans le développement de la richesse humaine, il n’y aura pas du tout développement, pour le dire avec le philosophe Njoh Mouelle Ebenezer.
Tout en parlant donc au nom de celles et ceux qui n’ont assez de souffle que pour tenir debout, je leur parle aussi pour qu’ils se redressent, se tournent vers la Lumière qui pointe à l’horizon.
Le poète est un devin, et vous êtes un prêtre. L’on est tenté de vous demander quels grands secrets sont enfermés dans notre triangle national pour que ses composantes vous habitent avec tant de force ? Que répondriez-vous à un lecteur qui trouve alors que votre recueil de poèmes distille une poésie du « Hemlè » bien connu chez nous ?
Je suis d’accord avec vous : le poète est un devin, c’est un prophète, comme le prêtre que je suis. Merci d’avoir perçu ce Hemlè qui m’anime, en vrai Camerounais.
En plus de l’amour-passion que j’ai pour le Cameroun, car c’est la Terre où m’a posé mon Créateur, comme lieu de mon épanouissement et de mon salut, je porte en moi cette vision du Cameroun qui est en construction. Les fondations sont jetées par le sacrifice de tous ces Héros dont le Sang irrigue aujourd’hui, dans le silence de l’indifférence et de l’anonymat, l’esprit des Jeunes femmes et hommes. Tout le monde s’agite dans le domaine politique, qui ne nous apportera pas le bien-être. C’est l’humain, passé par le pressoir de la souffrance, et habité par ce Hemlè que rien ni personne ne peut arracher du cœur des Camerounais, c’est cet humain qui va briser le pouvoir de Satan, et faire jaillir la Lumière dont notre pays est porteur…
Quels sont les poètes ou les œuvres littéraires qui ont eu l’influence la plus importante sur votre travail ? Et quels conseils donneriez-vous aux poètes en herbe ?
Mon oncle maternel, qui vit encore, m’a transmis le virus de la lecture. Je ne serai pas honnête si je disais avoir subi l’influence de tel poète ou de tel écrivain. Je suis en train de suivre la route qui m’est tracée. Toutes les lectures faites, comme celle de Ernest Hemingway, de Césaire, Nyunaï (qui a composé des poèmes en Basa’a), de Constant Virgil Gheorghiu, Mveng et autres, ces lectures ont été élevées dans le fût de la Parole de Dieu, dont le Souffle m’habite et me porte.
Quels conseils donner : lire, lire et lire; ensuite écouter le retentissement intérieur du monde extérieur ; enfin écrire, non pas pour être quelqu’un, on l’est déjà, mais pour risquer le partage, aller vers les autres et se laisser accueillir ou ignorer.
Pour finir, un mot sur vos prochains travaux ou projets littéraires et comment trouver votre livre actuellement ?
Le vol de mon laptop a brisé l’élan de mon esprit sur un projet poétique qui me tenait à cœur. En attendant de me remettre dans le sens du Souffle, je travaille à un nouveau recueil, que je soumettrai bientôt à la relecture.
Pour trouver mon livre s’approcher de moi, de mon éditeur (LA JEUNE PLUME EDITIONS) ou sur Youscribe.