
Nous nous posons probablement tous la même question….
Où se trouvent précisément les objets pillés dont on parle ici et là ? C’est un questionnement légitime constituant une étape importante pour toute personne qui souhaite par la suite découvrir le rôle, la place et les usages des biens patrimoniaux avant leur pillage.
Tous les objets ne sont pas de même nature et certains ont eu une signification, une histoire ou une résonnance particulières pour les peuples qui les ont conçus. Et la connaissance et les pérégrinations à travers le monde de ces objets méritent d’être connues également.
Les démarches individuelles, collectives ou officielles pour le retour des objets sacrés sont nombreuses et ces initiatives vont sans soute se multiplier. Car beaucoup d’entre nous rêvent de nous nous retrouver en présence d’un masque illustre ou d’une statue sublime issus de nos terroirs et dont nous sommes certains de ressentir la force et la vibration dans notre être.
Au vrai, il n’est pas inutile en attendant, de chercher et d’étudier encore et encore les très nombreux artefacts de notre pays qui sont disséminés à travers le monde.
Le Tangué de Lock Priso (Kum’a Mbape Bell)

Le Tangué de Lock Priso est actuellement logé dans le musée des sept continents de Munich. Dérobé le 22 décembre 1884 par les Allemands après le bombardement de Hickory Town (aujourd’hui Bonabéri), son histoire est singulière en ce sens que son rapt est intimement lié à l’histoire du Cameroun. C’est en effet la proue de la pirogue princière à bord de laquelle Lock Priso menait la résistance à l’envahisseur.
Après le refus de Lock Priso de signer le traité germano-douala, l’armée allemande va attaquer la ville et l’incendier. C’est pendant le déluge de feu qui dura plusieurs jours que fut emporté le Tangué, véritable symbole pour le peuple local, sachant qu’une fouille minutieuse du palais de Lock Priso fut effectuée avant que les soldats ne le carbonisent.
Le challenge évident aujourd’hui pour la grande communauté Bele bele et les Camerounais est que cette grande œuvre sculptée en bois représentant le prestige du peuple qui l’a construite, retrouve son emplacement originel. C’est en tout cas le combat que mène avec détermination le prince Kum’a Ndoube III et qui n’a malheureusement pas abouti jusqu’à ce jour.
Le Tabouret Royal Bamoun

Le trône royal est exposé au musée ethnologique de Berlin. Il se trouve en Allemagne depuis un siècle, ayant été transporté directement vers le musée depuis 1908.
C’est sous la pression de l’administration coloniale allemande que le sultan de l’époque a accepté d’offrir son trône à l’empereur Guillaume II. À l’époque, le royaume Bamoun était annexé à l’Allemagne (et il n’est pas inutile de rappeler que ce sultan sera finalement exilé à Yaoundé sous la période de l’administration française.) Il se pose ici la question des asymétries entre parties prenantes au moment où certaines transactions sont censées avoir eu lieu, des asymétries qui pouvaient être diplomatiques, commerciales ou militaires. Le moins que l’on puisse dire est que cet attribut royal manque à son peuple, la preuve étant que plusieurs personnes au Cameroun et dans la diaspora réclament le retour du trône de perle dans sa terre à Foumban.
La Statue De La Reine Bangwa

On estime que la statue de la reine Bangwa (aujourd’hui région du Sud-Ouest) arrive entre les mains d’un ressortissant allemand aux environs de 1899 (quelque temps avant le début officiel de la colonisation de la région). Plus tard, la statue va atterrir au Museum für Völkerkunde de Berlin. L’objet de culte s’est retrouvé dans plusieurs villes au gré des acquisitions : Berlin, Paris, New York, Washington. La vente record de 3.4 millions de dollars intervient en 1990 et aujourd’hui la statue est au Musée Dapper.
Depuis de nombreuses années, des démarches sont entreprises auprès du musée qui a fermé entre temps. L’une des plus grandes craintes aujourd’hui est que la statue ne retombe dans le marché dit de l’art et peut-être que l’on perde potentiellement la trace de cet objet unique en son genre.
Et si les demandes de rapatriement de la statue de la reine Bangwa sont incessantes, c’est sans doute que son peuple juge que le retour du bien patrimonial dans son lieu de création, lui donnerait une nouvelle vie en même temps qu’elle réveillera des mémoires.
La Statue Fang Mabea

Il y a un plus de deux mois, le masque ‘Ngil’ du peuple Fang du Gabon était vendu aux enchères à Montpellier en France pour 4,2 millions d’euros. La vente de cet objet a suscité de nombreuses polémiques puisque des manifestants gabonais étaient présents lors de la transaction et exigeait la restitution du bien à leur pays.
Quelques années auparavant, le 18 juin 2014, une statue Fang Mabea originaire du Cameroun était elle aussi vendue à Paris pour la somme de 4,35 millions d’euros. La statue aurait été emportée par les Allemands lors d’affrontements avec le chef Mayesse (Biang buo mpumbo) qui résista héroïquement à l’envahisseur avec ses troupes avant d’être pendu (22 mars 1893 à Bongahele) comme le serait plus tard Martin Paul Samba et d’autres chefs Camerounais à travers le pays. Comme pour d’autres objets rituels, sacrés et cultuels, cette statue constitue bien un élément du corpus de l’identité et de l’histoire du peuple Mabéa qui ne cesse de ressentir la douleur d’un arrachement brutal d’une partie de son essence.
L’Agrégation Des Savoirs Encore Existant
De temps à autre, nous entendons parler des artefacts de nos pays dispatchés à travers le monde. Lors d’une vente aux enchères record ou d’une polémique retentissante sur un objet, il fait la une de l’actualité avant que sa présence ne s’efface aussi vite qu’une étoile filante dans le ciel par une nuit obscure. Quelques jours après, il ne reste que le souvenir fugace d’un masque ou d’une statuette semblable à ces visages ou ces silhouettes inconnus que l’on a perçus distraitement à une soirée où nous étions invités.
Les artefacts issus de nos géographies ne doivent plus seulement être ces objets que nous voyons lors de flashes toutes les quinze minutes sur les chaînes d’informations en continu pour les oublier le lendemain lorsque l’actualité aurait imposé autre chose. Il est nécessaire de retrouver et d’agréger tous les savoirs issus des biens patrimoniaux encore disponibles pour les perpétuer, par exemple en les incluant dans le système éducatif, de l’école primaire à l’université.
Il faut agir afin que les nouvelles générations aient une vision du monde cohérente et conforme à leur environnement. Et avant qu’il ne soit définitivement trop tard !