Avez-vous déjà ressenti le besoin de vous abreuver de savoir auprès de l’un de nos grands écrivains au Cameroun pour découvrir quelle est sa vision de la littérature ?
Pabé Mongo, de son vrai nom Pascal Bekolo Bekolo a publié de nombreux livres : romans, nouvelles, contes et essais. Plusieurs de ses œuvres ont été inscrites dans les programmes scolaires au Cameroun et en Afrique.
J’ai lu certains de ses livres dont Père inconnu et L’homme de la rue. La découverte, il y a plus d’une décennie, de l’ essai ‘La Nolica (La Nouvelle Littérature Camerounaise), Du maquis à la cité m’a particulièrement marquée. L’ouvrage est frappant dans la synthèse de l’évolution de la littérature camerounaise. Ce petit livre au grand pouvoir m’a permis de changer mon rapport à l’écriture.
Je viens d’apprendre qu’il y a une réédition de l’ouvrage et je n’ai pu m’empêcher d’aller rouvrir celui que j’ai pour partager quelques citations inspirantes.
1. « On n’écrit pas un livre pour tuer le temps, mais pour marquer le temps. »
Les histoires que nous racontons doivent être envoûtantes pour capter l’attention des personnes qui nous lisent. Idéalement, nos livres continuent à vivre après nous, en devenant parfois plus importants que nous.
Au vrai, l’acte d’écrire est une démarche grave. Aligner des lettres, des mots et des phrases se fait sur le moment, mais son impact peut s’étirer dans le temps. Après nous, nos personnages pourront toujours exister. À ce propos, Gustave Flaubert aurait affirmé sur son lit de mort : « Cette pute de Bovary va vivre et moi je vais mourir comme un chien. »
Avec les mots, on entreprend un voyage en partant d’un acte d’écrire éphémère à une éternité des écrits.
2. « Le défi aujourd’hui va consister à créer des histoires originales, audacieuses, spirituelles, universelles, dans un contexte illusoirement familier. »
Ernest Hemingway pense qu’ « un bon écrivain doit connaître chaque chose d’aussi près que possible. » Pour cela, il faut prendre le temps d’observer ou d’apprendre si nécessaire. Il y a en effet un piège à prendre pour connu ce que l’on côtoie au quotidien.
Le contexte est « illusoirement familier » parce que nous pensons maîtriser l’environnement qui nous entoure. Mais cette connaissance n’est pas aussi exacte qu’on pourrait le croire, en particulier dans nos géographies où nous devrons tôt ou tard nous débarrasser de toutes les couches d’inexactitudes et de contrevérités qui se sont déposées sur notre perception de nous-mêmes au fil du temps.
C’est à nous de nous saisir de nos réalités et de traduire la justesse des situations. Voilà comment notre travail devient original et nous rapproche partout de nos semblables.
3. « Un écrivain doit être un homme cultivé, documenté, qui fabrique le rêve à partir de fortes et riches expériences et connaissances. »
C’est un avantage certain pour tout écrivain de connaître l’histoire de la littérature et d’étudier quelques acteurs importants qui l’ont marquée. Grâce à une bonne culture, l’écrivain parvient à transcrire des réalités profondes dans une apparente simplicité.
On a tous lu ce petit livre écrit contenant des mots simples et on l’a adoré. On y revient sans cesse pour éprouver une émotion particulière, retrouver un personnage devenu presque familier ou encore pour éclater d’un rire bruyant à la lecture.
C’est qu’écrire, ce n’est pas simplement retranscrire telle quelle la matérialité, nos expériences ou nos connaissances. Écrire, c’est rassembler et sublimer un outillage brut et épars pour « fabriquer le rêve ».
4. « La Nolica exhorte [les écrivains] à retrouver la fierté d’être Camerounais et l’aptitude à pétrir le matériau camerounais, ses beautés, ses laideurs, jusqu’à en faire des joyaux pour l’humanité. »
C’est en étant fils ou fille du terroir, en s’intéressant aux thèmes du cru et aux formes d’inspiration locale que l’on touche au monde dans son ensemble. Il s’en suit que pour enrichir l’universel, il faut d’abord être fidèle à soi.
Un auteur vivant à Douala trouvera les mots adéquats, la bonne association et le rythme exact pour décrire cette ville qu’il arpente chaque jour. Il captera et décrira les faits du quotidien dont certains paraissent à première vue insignifiants.
En somme, l’écrivain camerounais comme tout autre écrivain va « rassembler les meilleurs mots, avec toute l’aide possible, lexicologique, associative et rythmique, pour exprimer aussi fidèlement que possible ce qu’il veut exprimer.» comme l’affirme Vladimir Nabokov. C’est cela peaufiner le matériau que l’on va offrir à l’humanité entière comme chef-d’œuvre.
5. « L’art ne saurait être une indolence. Une œuvre d’art qui n’est fondée sur aucune règle, ni aucun défi, ne peut susciter ni admiration, ni émerveillement. »
« Le grand écrivain crée un univers qui lui appartient en propre, et ses lecteurs sont fiers de vivre à l’intérieur de celui-ci. » nous dit Cyril Connolly dans Ce qu’il faut faire pour ne plus être écrivain. On ne crée certainement pas tout un univers où l’on fait vivre ses personnages en étant nonchalant ! Ceux qui travaillent comme des créatifs dans la publicité savent que les campagnes les plus abouties sont celles qui respectent le brief et ses contraintes. De la même manière dans la création littéraire, la contrainte ou la règle (quelle que soit sa forme) est le catalyseur de la créativité.
L’émerveillement du lecteur vient de l’appropriation de l’univers qu’il découvre. Cette découverte et cette exploration se font sans naïveté ni concession pour l’ouvrage. À la moindre rupture des contraintes que s’est librement donné l’auteur d’une œuvre, le charme des écrits s’effrite côté lecteur et ce dernier peut aller jusqu’à abandonner le livre.
Un essai à (re) Lire !
Un conseil ou une astuce n’est pas figé dans le marbre et dans son essai Pabé Mongo affirme lui-même qu’il ne se considère pas comme un prophète ou un législateur. Toutefois, ‘La Nolica (La Nouvelle Littérature Camerounaise), Du maquis à la cité est un document essentiel pouvant guider l’écrivain sur le chemin de la création aujourd’hui.
Si les extraits que je partage vous ont intéressés, achetez l’ouvrage et lisez-le vous-même. En vérité, vous ne le refermerez pas avant d’en avoir apprécié la dernière phrase. L’évocation de l’essai de Pabé Mongo ravive du reste le souvenir d’un autre livre vital : Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke…